Saint Yves : Yves Hélory de Kermartin - Minihy Tréguier

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Yves Hélory de Kermartin est né en 1253 au manoir de Kermartin, à Minihy, près de Tréguier. Il était le fils d'un chevalier breton. Orphelin très jeune, il est élevé par sa mère, Azou du Quinquis. C'était une femme très pieuse qui aimait répéter à son fils: 'Vivez mon fils de telle manière à devenir un saint'..

A l'Université de Paris, très doué, il étudie les arts, les lettres , le droit et la théologie pour être prêtre.

Ayant parachevé ses études dans la prestigieuse faculté de droit d'Orléans. il devient prêtre et conseiller juridique.

Yves Hélory est nommé vicaire judiciaire par l'évêque Alain de Bruc en 1284 : c’est-à-dire juge ecclésiastique du diocèse de Tréguier.

Il revient au pays. On le nomme à la fois curé de Trédrez, petite paroisse près de Saint Michel en Grèves et juge ecclésiastique à Tréguier.

Sous l'influence de moines franciscains avec qui il a de longues discussions sur la perfection et la pauvreté, il se décide à partager ses ressources avec les pauvres. Juge, il assume ses fonctions dans un esprit de conciliation et de justice et, gratuitement, se fait le conseiller ou le défenseur des plaideurs démunis, gardant, sous les attaques parfois acerbes de ses collègues d'en face, une joyeuse égalité d'humeur.

Fidèle à l'exemple des saints, saint Martin entre autres, à une vie de prière centrée sur l'Eucharistie et l'étude de l'Écriture Sainte, il s'adonne aussi à la prédication, souvent dans plusieurs paroisses le même jour, et à l'assistance spirituelle.

Sa maison, le manoir de Minihy, devient un abri pour les pauvres. On l'appelle 'le prêtre saint'. Après sa mort, il connaîtra un culte populaire très fervent, en Bretagne et bien au-delà.

Toute sa vie, il se consacra à la justice et aux pauvres. Yves Hélory prêche en latin et en breton. A la fin de sa vie, Yves Hélory se livrait à une forme de « contemplation », il est décédé le 19 mai 1303 à Minihy. La cérémonie a lieu à la cathédrale Saint-Tugdual de Tréguier. Yves Hélory est canonisé le 19 mai 1347 par le pape Clément VI après un procès débuté en 1330 (enquête de canonisation du 28 juin au 4 août). Le 29 mai 1347 est réalisé la levée du corps du saint : sa tête – le chef - est placée dans un reliquaire et le reste des reliques mises à l’abri.

Saint Yves est le saint patron des professions de justice et de droit, notamment celle d’avocat. Il est représenté avec une bourse dans une main et un parchemin dans l'autre, qui rappelle sa charge de juge ecclésiastique.

Fait prisonnier pendant cinq mois en 1420 par les Penthièvre, le duc Jean V de Bretagne (1389-1442) avait fait le vœu, s’il était libéré, d’offrir à saint Yves et à l’église cathédrale de Tréguier un tombeau en donnant son poids en argent.

Fondée en l’honneur de saint Yves le 7 octobre 1420, la chapelle du Duc ou « chapelle saint-Yves » accueille le tombeau contenant les reliques du saint.

Le premier tombeau de Saint-Yves a été détruit par le bataillon d’Étampes en mai 1794 lors du saccage de la cathédrale de Tréguier. Dès 1793, les reliques de saint Yves avaient été enfouies pour les soustraire aux vandales révolutionnaires. Le chef de saint Yves (avec le bras de saint Tugdual) avait déjà échappé - quasi miraculeusement - à l’incendie de la sacristie dans la nuit du 5 au 6 septembre 1632. Les précieuses reliques sont authentifiées le 28 avril 1801 par le chanoine Garat de Saint-Priest, vicaire général puis placées en 1820 dans une châsse offerte par monseigneur de Quélen.

Le projet de réédification du tombeau de saint Yves est lancé par monseigneur Bouché, évêque de Saint-Brieuc et Tréguier qui propose lors du grand pardon du 19 mai 1883 une souscription pour une « œuvre de religion, de patriotisme et de réparation ».

En 1885, l’historien Arthur de La Borderie publie une brochure de 32 pages intitulée : « Rétablissement du tombeau de saint Yves. Projet de note pour les artistes bretons ». L’historien de la Bretagne argumente en faveur d’une reconstitution du monument tel qu’il existait avant la Révolution : « son premier mérite doit être la vérité et la fidélité historique. Donc rechercher, reproduire exactement dans cette effigie le costume vrai de saint Yves […] ». Dans la foulée, un comité est mis en place pour encadrer la reconstitution du tombeau. Des fouilles sont réalisées dans l’église cathédrale afin de retrouver l’emplacement du premier tombeau de saint Yves. Désiré Devrez en tant qu’architecte de la cathédrale de Tréguier et délégué du Ministère des Beaux-Arts est logiquement chargé de l’exécution du monument.

« Le tombeau sera en pierre blanche. Il sera orné de bas-reliefs représentant non plus les victoires de Jean IV, qui seraient aujourd’hui des hors-d’œuvre, mais les événements les plus importants de la vie du bienheureux. La statue du saint sera représentée couchée, conformément aux prescriptions architecturales concernant les monuments funèbres. Le tombeau sera surmonté d’un dôme richement ouvragé et soutenu par d’élégantes colonnettes, et il est à désirer que la matière de ces colonnettes soit le granit breton, dont notre pays possède de si belles variétés, et qui est souvent plus précieux que le marbre. Enfin, devant le tombeau sera placée une châsse ou un édicule en cristal contenant une partie des reliques du saint, que les fidèles pourront ainsi voir et vénérer à toute heure du jour. Mais cette relique inestimable du chef du bienheureux demeurera, comme par le passé, dans le trésor de la cathédrale et ne sera exposée que dans les jours très solennels, suivant l’antique usage (extrait de la « Semaine religieuse du diocèse de Saint-Brieuc », 24 mai 1883). »

Monseigneur Bouché propose d’intégrer au monument les statues de douze saints bretons : les fondateurs des neuf évêchés de Bretagne (saint Samson, saint Maclou ou Malo, saint Brieuc, saint Tugdual, saint Pol Aurélien, saint Corentin, saint Patern, saint Clair de Nantes et saint Melaine), saint Judicaël, saint Gildas et sainte Pompée (mère de saint Tugdual), dont le tombeau, daté de 1370 se trouve à Langoat.

La première pierre du nouveau tombeau est bénie lors du grand pardon de saint Yves du 19 mai 1886. Le sculpteur Jean-Marie Valentin est choisi pour réaliser la statue du saint en marbre blanc de Carrare (cette œuvre a reçu une mention honorable au salon des Artistes français de 1888).

Le tombeau de saint Yves est inauguré les 7, 8 et 9 septembre 1890 au cours de festivités organisées par le cardinal Place, archevêque de Rennes, en présence des évêques de Saint-Brieuc, Vannes, Angers, de 800 prêtres de Bretagne et d’ailleurs, de quelques avocats en robe et d’une foule nombreuse.

Saint Yves, patron de Tréguier et des hommes de loi, protecteur des pauvres, est aussi le saint patron de la Bretagne : il fait l'objet chaque année, le troisième dimanche de mai, d'un grand pardon dans la ville de Tréguier, capitale du Trégor, dans les Côtes-d'Armor. A cette occasion, le chef de saint Yves contenu dans une châsse photo (conservé habituellement dans la sacristie), est transporté en procession de la cathédrale de Tréguier à l’ancienne chapelle domestique du manoir de Kermartin devenue église paroissiale de Minihy-Tréguier.

Au point de rassemblement des deux cortèges venant de Tréguier et de Minihy-Tréguier, les bannières s’inclinent devant les reliques du saint et la croix processionnelle de Tréguier donne l’accolade aux autres. Une messe est célébrée dans le cimetière de l’église de Minihy-Tréguier sur un autel gothique sous lequel les pèlerins passent à genou par dévotion.

A partir de 1936, avocats et magistrats commencent à se joindre au grand pardon de Tréguier.

Saint Yves fut longtemps juge ecclésiastique et acquit ici, dans le Trégor, une réputation d'intégrité et de bonté qui attira des foules énormes. Il recueillait malades et mendiants dans sa propre maison, s'imposait 3 jours de jeûne par semaine, dormait avec une grosse pierre en guise d'oreiller.

Il mourut, à cinquante ans,  épuisé, le 19 mai 1303, considéré comme le patron des hommes de loi et le protecteur des pauvres.

Et pour en savoir encore plus, lire ci-dessous...

 

Yves Hélory de Kermartin sur les chemins des saints légendaires d'Armorique

 *** Daniel Giraudon ***

 

Daniel Giraudon est Gallo du Trégor. il est à Binic. Il est Professeur des universités de breton (émérite) à l’Université de Bretagne Occidentale, chercheur au CRBC (Centre de Recherche Bretonne et celtique), collaborateur à la revue ArMen et auteur de nombreux articles dans diverses revues, Skol Vreizh, Annales de Bretagne, Musique bretonne, Kreiz, Klask, Al Liamm, Brud nevez.
 

Chercheur de terrain, il parcourt depuis une quarantaine d’années les campagnes de Basse et Haute Bretagne pour recueillir dans la mémoire des anciens le patrimoine de notre culture populaire.

On a coutume de dire qu'il vaut mieux s'adresser à Dieu qu'à ses saints. En Bretagne, on aurait plutôt tendance à penser le contraire et plus particulièrement en Trégor-Goëlo où l'on place saint Yves au dessus de tout et de tous.

Dans l'ancien évêché de Tréguier où il naquit et vécut au XIIIème siècle, sa présence est aujourd'hui encore extraordinaire. Sa statue trône dans toutes les églises et chapelles du pays. Il a donné son nom à de nombreuses personnes et de nombreux lieux. Ses reliques, des objets lui ayant appartenu sont, ici et là, pieusement conservés. On montre les chemins qu'il aurait parcourus, les lieux où il se serait arrêté. On attend encore ses miracles.

Sous l'effet de l'imagination populaire, il entre de plain-pied dans la légende dorée de nos vieux saints bretons. Il cristallise sur lui les différents motifs folkloriques attachés aux premiers évangélisateurs et anachorètes de l'Armorique. De Trédrez à Beauport, on le suit pas à pas, tant le long des sentes sinueuses qu'à travers champs, ruisseaux ou rivières. Les plus vieux content à son sujet mille anecdotes.

C'est au mois de mai qu'a lieu la grande fête religieuse, le grand pardon du saint. Les deux offices célébrés en son honneur, au même moment, en deux endroits différents, sur deux territoires distincts, illustrent cette impression d'un saint partagé entre le riche et le pauvre. A Tréguier, les personnes de haut rang se rassemblent dans la cathédrale. Au Minihy, les gens du peuple affluent dans l'église paroissiale. Ce jour-là encore, il y a deux processions : celle de Tréguier sort en grande pompe le chef de saint Yves dans son reliquaire pour le conduire sur ses terres. Les pèlerins du Minihy, quant à eux, vont en cortège à sa rencontre aux limites de son fief, puis font avec lui un bout de chemin jusqu'à son ancienne chapelle. Ils le sentent heureux d'avoir quitté la sacristie de la cathédrale où on l'a mis en exil et lorsque vient l'heure du retour, ils ne manquent pas de remarquer son chagrin. Dès que la foule reprend la direction de Tréguier, la châsse vitrée se couvre subitement de buée et certains de dire : Sellet, sant Erwan o ouelañ gant kuñv da guitaat ar ger, dour 'ruilhal gant e visaj, Regardez saint Yves qui pleure, il est triste de quitter sa maison, des larmes lui coulent sur le visage.

L'ambivalence du personnage et de son culte est encore renforcée par l'existence de deux tombeaux : d'une part, le mausolée flamboyant abrité dans la cathédrale de Tréguier, d'autre part, le monument fruste installé en plein air dans l'enclos de l'église du Minihy. Ainsi, Tréguier et le Minihy se disputent-ils l'honneur de posséder la dernière demeure de saint Yves; mais c'est à celle du Minihy que va la préférence du petit peuple comme le rappelle Anatole Le Braz " Le tombeau édifié dans la cathédrale le fut pour les riches, ceux qui recherchent le luxe et les beautés factices de l'art jusque dans les objets de leur dévotion.

Mais la foule des humbles ne désertera jamais les petits sentiers du Minihy. C'est là que repose l'ami des pauvres qui voulut être enterré pauvrement. Pour les gens du peuple, qui se rendaient au Minihy, l'église restait et reste ouverte toute la nuit pour une veillée de prières et une messe. Autrefois, ils ne s'estimaient dignes d'y entrer qu'après en avoir fait neuf fois le tour en récitant pieusement leur chapelet. Ce soir-là, saint Yves se manifestait miraculeusement pour eux. A minuit, racontent les anciens, le saint étendait le bras pour bénir l'assistance prosternée. A ce moment précis, on se gardait bien de lever la tête vers la statue du saint car comme l'écrivait Ernest Renan : s'il y avait dans la foule un seul incrédule qui levât les yeux pour voir si le miracle était réel, le saint, justement blessé de ce soupçon, ne bougeait pas, et, par la faute du mécréant, personne n'était béni.

Au Minihy encore jusqu'à la dernière guerre, le manoir de Kermartin et les fermes alentour ouvraient leur porte aux plus démunis, comme au temps de saint Yves. Dans l'ancienne demeure du saint, ils recueillaient une parcelle de sainteté en passant la main sur le lit dans lequel saint Yves était mort. Ce lit-clos en chêne, malheureusement, brûla dans un incendie en 1907. A défaut d'avoir conservé le chef de saint Yves, le Minihy s'est vu confier son bréviaire. Il est préservé dans l'église paroissiale. Il fut hélas mutilé par des pèlerins peu scrupuleux mais tellement désireux de posséder un fragment autrefois parcouru par les yeux du père des pauvres.

De la même manière, en confiant à Louannec la garde de la chasuble dont saint Yves aurait fait usage, on a sans doute voulu, comme au Minihy, laisser sur place une part de l'héritage du saint.

On sait d'après le procès de canonisation que, par mortification, saint Yves délaissait toujours le confort de la plume pour adopter la rigueur du sol. Les prétendues chambres de Saint Yves ne manquent pourtant pas dans le Trégor On remarquera qu'elles sont toutes situées dans des maisons nobles, plaçant à nouveau saint Yves entre le pauvre et le riche.

Mais saint Yves n'était pas homme à dormir dans la plume, et c'est ici que l'on retrouve notre saint Yves du peuple qui va prendre sa dimension légendaire. Les témoins de son temps en font état : au matin ses hôtes découvrent que le bon lit préparé à son intention n'est pas défait, le saint ayant préféré reposer à la dure sur le plancher de la pièce. Suivant l'exemple de ses devanciers des premiers temps de l'évangélisation de la Bretagne, il aimait à se mortifier encore plus en couchant sur le granit.

Le Trégor est riche en literie mégalithique de cette époque. Ainsi peut-on voir les lits de saint Idunet à Pluzunet, de saint Maudez à Lanmodez, de saint Gildas à Penvénan, de saint Gonéry à Plougrescant, de saint Tudy à Ploézal, de saint Samson à Pleumeur-Bodou...

Saint Yves, plus saint que les saints, avait deux "chambres" de pierre. Ce sont deux anciens dolmens situés respectivement à Louannec, dont une description est accessible ici, et à Trédrez, deux paroisses dont il fut recteur. Trédrez, avec fierté, montre le sien dans la lande pentue située face à la mer, entre Toull ar Vilin et Beg ar Forn. C'est là que Dom Erwan allait méditer et faire pénitence devant la vaste étendue d'eau et de sable de la Lieue de grève.

Mais ce n'est pas tout. A Trédrez toujours, sur la route qui conduit de Kervorgan à la grève, dans un petit champ encore nommé park bihan Sant Erwan, se trouvait un bloc de pierre que le peuple appelait : plueg Sant Erwan, le chevet de saint Yves. Les paysans disaient quesaint Yves, dans ses nuits de contrition et d'ascétisme extrême, n'avait pas d'autre oreiller et ils respectaient cette pierre, se signaient quand ils passaient près d'elle et, même la nuit, plus d'un venait secrètement poser sa tête à l'endroit où avait souvent reposé celle du saint. Plusieurs fois cette pierre avait été enclavée dans des talus et clôtures de champs. Mais elle était toujours mystérieusement remise à la place où on l'avait prise. Cependant, cet oreiller dit de saint Yves, est à présent fixé à l'entrée du cimetière de Trédrez (Trédrez-Locquémeau) que voici décrit ici.

Dans cette même paroisse de Trédrez, on trouve encore deux magnifiques pierres à cupules nommées par le peuple, kadorSant Erwan chaise de saint Yves, avec prie-Dieu et bénitier, à Milin Awel et skabell Sant Erwan chaise de saint Yves, à Ponchoù mein. Le saint s'y asseyait, dit-on, pour lire son bréviaire, méditer, faire une pause, ou rendre la justice.

Dans la commune voisine de Ploulec'h, à Milin Awel, les anciens montrent également une chaise de saint Yves.Cette manière de désigner nommément ces reposoirs correspond encore à ce que la tradition a retenu pour les saints des premiers temps.

Sur la grève de Locquémeau, par exemple, on montre le siège de saint Kemo, à l'île Maudez, celui de saint Maudez.

Les jalons de pierre, mein sant Erwan, pierres de saint Yves. De Trédrez à Beauport, d'autres marques subsistent qui témoignent du passage du saint. Elles n'ont pas manqué d'alimenter l'imagination populaire. Voici ce qu'en disait Perrine Thomas de Tréguignec à Anatole Le Braz en 1894: " Du temps que le saint était recteur de Louannec, il allait tous les samedis soirs coucher au manoir de Kervarzin en Minihy-Tréguier. Il éprouvait souvent le besoin de s'asseoir au bord de la route, pour reprendre haleine. Or, en ce temps-là, les champs étaient pleins de rochers. Dès que le saint manifestait le désir de se reposer, une de ces pierres, la plus voisine, sautait d'elle-même par dessus haies et talus et venait s'offrir à lui en guise de siège. Une fois qu'il s'était assis sur elles, ces pierres ne bougeaient plus : elles étaient consacrées. Après je ne sais combien de centaines d'années, elles sont toujours à la même place.

Des cultivateurs sans scrupules ont parfois imaginé de s'en servir pour construire leurs talus. Elles se laissaient transporter mais dans la nuit - à l'heure où, dit-on, le saint passe, comme aux jours anciens - elles regagnaient leur poste, sur le bord de la route. Elles jalonnent le chemin comme les stations d'un calvaire de pitié. Qui s'y assied, la douleur dans l'âme, se relève consolé ; qui s'y repose, accablé de fatigue, marche ensuite comme s'il lui avait poussé des ailes...

Beaucoup de ces pierres ont hélas disparu aujourd'hui, victimes notamment de l'élargissement des routes. On aimerait pourtant retrouver celle qui lui servait de cloche comme le rapporte un ancien du pays : Quand il prenait la direction de Lancerf, saint Yves frappait sur une pierre avec son bâton, comme sur une cloche, pour inviter ses fidèles à venir l'entendre : Sant Erwan a deue da Lanserf da brezeg. Ewit gelven an dud e save e vazh war e garreg evel tri daol kurun. Neuze an dud pa glevent en em hastent dont da selaou. Deus partout a deue an dud. Saint Yves venait prêcher à Lancerf. Pour appeler les gens, il frappait trois coups de bâtons, comme le tonnerre, sur le rocher. Alors les gens, quand ils entendaient, se dépêchaient de venir l'écouter. Les gens venaient de partout.

Néanmoins, il subsiste des pierres dédiées à saint Yves. C'est le cas, par exemple, à Hengoat (commune déléguée de 'La Roche-Jaudy' depuis janvier 2019), que mentionne la carte IGN 0814 OT  sous l'appellation ''Pierre de saint Yves" dont une description est directement accessible ici.

On ne peut s'empêcher de faire ici un nouveau rapprochement avec un saint des premiers siècles, saint Gildas, dont la cloche de pierre est visible dans l'église de Bieuzy dans le Morbihan. A Lancerf, la pierre sonnante a malheureusement disparu.

Les empreintes merveilleuses :

Tout objet qui sort de l'ordinaire et offre un caractère un tant soit peu étrange, frappe l'imagination du peuple et devient facilement le sujet d'une légende. Les empreintes laissées dans la pierre ont ainsi fait travailler bien des esprits. Comme précédemment pour les lits et les chaises, une croyance relative à un saint celtique du secteur a pu inspirer l'imagination populaire et être appliquée à saint Yves.

Sur les chemins fréquentés par le saint, on nous a montré les traces qu'il laissa sur deux longues pierres plates qui servaient autrefois de pont. La première est en Plounez, à Keranno. La seconde dalle se trouve dans le bois de Plourivo, à Pontroz. Dans une lande de Hengoat, à Crec'h Bleiz, on nous a encore fait découvrir la trace de son genou sur un rocher.

Autrefois, les familles en promenade s'y arrêtaient et les mères faisaient embrasser pieusement l'endroit où, selon la tradition, le saint s'était maintes fois agenouillé.

A Penvénan, au carrefour de Kroaz Skijo, on voit encore aujourd'hui la plus connue de toutes ces pierres merveilleuses. Tous les ans, au mois de mai, des fidèles ne manquent jamais de la fleurir. On se garde bien de la déplacer. On a pourtant cherché à l'enfoncer dans le talus. "Elle est toujours ressortie de la terre", racontent les voisins. Il y a quelques années, un cultivateur avait voulu la retourner avec son tracteur. Le lendemain l'imprudent était, paraît-il, couvert de furoncles.

A Tréguier, sur le parcours de la procession qui se rend au Minihy, on remarque dans un vieux mur une pierre qui porte cinq trous, la marque des doigts du saint. Les pèlerins avaient pour coutume d'y placer les leurs dans l'espoir de recueillir le fluide de sainteté de maître Yves. A Binic, saint Gilles a de la même façon imprimé dans le roc la trace de ses doigts.

Enfin, au lieu-dit Pabu en Pommerit-Jaudy, un bloc rocheux porte des traces de griffes. La légende dit que saint Yves et Satan se seraient affrontés pour la propriété de la cathédrale de Tréguier. Le diable aurait annoncé qu'il couronnerait le clocher avec cette pierre qui se trouvait dans l'étang attenant. En fait, il aurait réussi à l'extraire de l'eau mais jamais à la transporter plus loin. La pierre est toujours là et les stries aussi.

Nous voilà de nouveau en compagnie des vieux saints d'Armorique. Saint Samson et saint Tugdual, par exemple, furent de même, impliqués dans une épreuve de force avec le démon.

Les empreintes dans la pierre sont pour le peuple un signe indiscutable du passage du saint. Mais il ne s'en contente pas, il lui faut d'autres preuves. C'est sur l'eau qu'il va maintenant porter ses regards. Il a toujours présent à l'esprit " les allées et venues des vieux saints d'Hibernie sur les eaux de la Manche "et il imagine aisément saint Yves sur la même voie.

Ses pérégrinations l'amenaient à franchir notamment deux rivières, le Trieux et le Leff. La traversée du Trieux, si l'on s'en tient au circuit Nord, se faisait tantôt entre Kermarquer et la plage du Ledano, tantôt entre Goz-Ilis et Crec'h Tiaï ou Pont-Erwan. A la rencontre des flux et reflux qui se produisent à ces endroits, apparaît sur la rivière une barre d'écume ou un sillage argenté, parfois accompagnés d'empreintes géantes. Les gens du pays disent alors comme si l'événement venait de se passer: Tremenet eo sant Erwan, emañ roud e dreid war an dour, saint Yves vient de passer, on voit les traces de ses pieds sur l'eau.

Devenu adulte, saint Yves, traversa une fois le Trieux de manière originale. Un soir que la mer battait son plein dans l'anse du Lédano, raconte un informateur de Plounez, il avait franchi l'étendue d'eau en marchant sur un drap posé tout exprès pour lui par une lavandière de Crec'h Tiaï qui l'avait reconnu. La pièce de toile s'était allongée par miracle jusqu'à l'autre rive. On ne peut s'empêcher de penser ici encore à saint Gildas ou à saint Laur voguant sur leur manteau.

Restons avec saint Yves sur les chemins du Trégor-Goëlo pour revenir un instant sur l'ambivalence de sa personnalité. On montre, aujourd'hui même, des talus où la fougère ne pousse pas ou du moins ne pousse plus. Voici comment le peuple explique ce phénomène : saint Yves prenant souvent au plus court à travers champs s'était un jour blessé en marchant sur une fougère sèche. Dans son irritation momentanée, il s'était écrié, Biken radenenn na savo er park mañ ken. Jamais plus fougère ne poussera dans ce champ, maudissant la plante à jamais.

Ce ne fut pas la seule fois où saint Yves eut à s'en plaindre. Plusieurs localités revendiquent l'événement sur leur sol à Louannec, Yvias, Kerfot, Plourivo, Plounez, Kerity, Plouguiel, Pommerit-Jaudy... Menés sur les lieux par nos informateurs, nous y avons effectivement constaté l'absence de fougères. Certains de nos guides ont même prétendu avoir tenté à plusieurs reprises d'en faire pousser sur les talus en question. Jamais, ils n'y sont parvenus. tant et si bien que cette croyance est devenue l'objet d'une plaisanterie trégorroise : lorsque l'on voit des fougères dans un champ, on s'exclame : Sell ar radenn, n'eo ket bet sant Erwan deramañ bepred ! Regarde les fougères, saint Yves , au moins, n'est pas passé par ici !

Une autre plante fut victime d'un semblable courroux par un autre saint. Lorsqu'il aborda dans la baie de Saint-Brieuc, saint Quay, évangélisateur d'outre-Manche, fut fouetté par la population à coup de genêt. De colère, il maudit cette plante qui lui avait arraché l'épiderme et depuis ce temps, le genêt ne pousse plus à cet endroit de la côte.

Au cours de sa vie, saint Yves eut d'autres occasions de dire la patenôtre à l'envers. Il ne supportait pas qu'on lui manquât de respect. Jean Conan (1765-1834), le célèbre auteur des Avanturio en donne un exemple dans une vie de Saint Yves qu'il mit lui-même en rimes bretonnes. C'était à l'époque ou Yves était recteur de Trédrez. Il avait coutume d'aller se reposer dans un petit champ non loin du bourg la tête appuyée sur la pierre : plueg Sant Erwan, oreiller de Saint-Yves. Profitant de son sommeil, un pêcheur, sans doute hostile aux hommes d'église, voulut lui jouer un tour en lui attachant une queue de raie à la soutane : en se réveillant, Yves ne s'en rendit pas compte tout de suite. Ce sont des moissonneurs du bourg qui le lui firent remarquer. De colère, il lança cette malédiction : houl ma teuio brun pe marqued a lost eur rey a quemend a dey deus e ras da james ehoudé Je demande que le fautif devienne roux ou marqué d'une queue de raie, Lui et toute sa descendance, à jamais !

Devenu recteur de Louannec, saint Yves fut de nouveau la cible d'un de ses paroissiens dans les mêmes circonstances. Endormi sur une longue pierre dont la tradition a gardé le nom de gwele sant Erwan, lit de Saint-Yves, il échappa par miracle au coup de pelle d'un fermier irascible qui n'appréciait pas de voir l'ecclésiastique sommeiller alors que lui se donnait tant de peine. Réveillé par le bruit de l'outil heurtant la roche, Yves, qui avait de justesse échappé à la mort, condamna le coupable, comme le pêcheur de Trédrez, à voir sa chevelure virer au roux et à la transmettre à sa descendance jusqu'à la neuvième génération ! Cette couleur au moyen-âge dénonçait la fourberie et la méchanceté.

Saint Yves assurément n'était pas tendre envers ceux qui se moquaient de lui ou en voulaient à ses jours comme le montre cette nouvelle anecdote. Un jour à Yvias, au sommet de la colline de Croaz Mingwenn, il se trouva en présence d'un groupe qui se querellait. Il voulut s'interposer. Bien mal lui en prit car les antagonistes firent subitement bloc contre lui et se mirent à lui jeter des pierres. L'une d'elles le blessa au front. Furieux, Yves se retourna vers les excités et demanda à Dieu de punir l'auteur de ce mauvais coup. Depuis ce temps les premiers nés de cette famille portent, aujourd'hui encore, une ou plusieurs bosses sur la tête.

Une malédiction identique, selon l'abbé France, avait été jetée à l'adresse d'un homme de Kerfot qui s'était permis de se moquer du futur saint. Celui-ci lui aurait souhaité d'avoir des cornes au front comme les bœufs dont son langage du Goelo imitait l'accent disgracieux. Son vœu aurait été exaucé à l'instant et la postérité de cet homme continue de porter cette marque d'infamie, symbole du diable.

L'ensemble de ces faits s'accordent mal avec la charité légendaire de saint Yves. Aurait-il eu la tête près du bonnet ? Si ces traits de caractère n'apparaissent pas ou peu dans le procès de canonisation, ils correspondent tout de même à son rôle de justicier, bien ancré dans la mentalité populaire. Yves récompense le bon et punit le coupable. Le Trégorrois lui-même n'envisage pas de charité chrétienne à l'égard de son ennemi qu'il voue justement à saint Yves ...de vérité.

Il reste donc plutôt favorable à la loi du talion et ne peut s'étonner des réactions de son saint patron. Ainsi aura-t-il fait saint Yves à son image pour mieux justifier peut-être ses propres comportements. On trouve ici également l'ambivalence de tout thaumaturge que l'on assimile à un sorcier doté d'un pouvoir dont il se sert pour faire le bien aussi bien que le mal. Mais en fait, saint Yves ne fait que rejoindre ici les emportements des vieux saints celtiques et autres. La tradition orale et l'hagiographie bretonne en fournissent de nombreux exemples.

Le souvenir de saint Yves dans la mémoire populaire n'est évidemment pas constitué de ces seuls excès de colère, loin s'en faut. Il est avant tout perçu par la majorité comme un bienfaiteur. Une expression encore aujourd'hui des plus courantes parmi les bretonnants du Trégor-Goëlo, fait en particulier allusion à sa générosité.

Il s'agit de madoù sant Erwan, les biens de saint Yves. Pour faire l'aumône aux pauvres, saint Yves distribuait tous ses biens. Il n'y avait rien de trop pour eux et lorsque l'offrande semblait manquer, elle se multipliait par miracle pour contenter tous les nécessiteux qui se présentaient.

En rapport avec ce dicton populaire, nous avons recueilli à maintes reprises un récit légendaire dont voici une version : Un jour, à genoux sur la pierre d'un lavoir, une lavandière de Plounez sortait son drap de l'eau. Mais, surprise ! Plus elle tirait, plus la pièce de toile allongeait. Alors elle dit : Hag a vehe madoù sant Erwan o dehe ur fin bennak, quand bien même ce serait les biens de saint Yves, ça s'arrêterait, et ça s'était arrêté. "Le drap s'était coupé net, au ras de la main". C'était donc bien saint Yves qui avait fait ce miracle. Une sculpture dans les stalles de la cathédrale de Tréguier illustre ce miracle.

La liste des bienfaits de saint Yves est longue. Encore une fois, ses pouvoirs sont à rapprocher de ceux des vieux saints populaires.

Autrefois en Bretagne, les populations des campagnes avaient peu recours à la médecine officielle et lui préféraient de loin leurs saints guérisseurs. Chacun d'entre eux avait sa spécialité. Yves de Tréguier, lui, était bon pour tout. Le cahier que les pèlerins remplissent tous les ans dans l'église de Minihy est édifiant à ce sujet.

On s'adresse à saint Yves aussi bien pour guérir d'une longue maladie que pour trouver du travail ou remettre la main sur un objet égaré. Des fontaines lui sont dédiées en de nombreux points du Trégor. Leur eau avait pouvoir sur tous les maux. Comme les saints Quirio ou Cado, saint Yves était invoqué par exemple contre la furonculose, une maladie relevant autrefois des seuls soins du folklore.

Cette affection porte le nom des saints qui la guérissent. Ainsi parle-t-on de gloaz sant Kirio, la blessure de saint Kirio, drouk sant Kado le mal de saint Cado et gorioù sant Erwan, les furoncles de saint Yves.

Aux yeux du plus grand nombre, saint Yves, comme son ancêtre saint Malo par exemple, avait également toute puissance sur les éléments. Aussi les marins l'imploraient-ils au milieu de la tourmente. Déjà en 1330, lors de l'enquête de canonisation, un grand nombre de navires en argent et en cire se balançaient à la voute de la cathédrale de Tréguier, offert à Yves Hélori par les matelots sauvés du naufrage.

Les cultivateurs, eux aussi tributaires du temps, veillaient au grain et ne manquaient pas de montrer leur reconnaissance au saint pour obtenir de bons rendements.

Le jour du pardon, certains d'entre eux se rendaient à Tréguier arborant une belle tige de lin sur leur chapeau. C'était une façon de montrer au saint leur reconnaissance.

Au début du siècle, deux pauvresses de la paroisse, Maï Gleuz et Perrine Job ar C'harv, se tenaient près du cénotaphe dans l'enclos du cimetière du Minihy. Lorsqu'un pèlerin leur donnait une pièce, elles lui offraient un petit caillou blanc en disant : Yec'hed deoc'h gant Doue ha Sant Erwan, lakit hennezh war ho touar hag a po lin kaer ! Que Dieu et saint Yves vous accordent la santé, mettez cette pierre sur votre terre et vous aurez du beau lin ! De retour à la ferme, les paysans, avec conviction, jetaient dans leur champ de lin ces petites pierres, baptisées meinigoù sant Erwan.

Saint Yves comme tous les vieux saints d'Armorique avait son ou plutôt ses cantiques. Il en est un cependant qui connut et connaît encore une plus grande vogue que les autres. Sur tout le parcours du grand pardon du 19 mai, les pèlerins entonnent le célèbre chant religieux, connu de tous en Bretagne et au delà. : "Na n'eus ket en Breiz, na n'eus ket unan, na n'eus ket ur sant, evel sant Erwan ! " Il est l'œuvre du chanoine Jean-François Le Pon (1848-1898) originaire de Plourivo, également connu sous le pseudonyme de Laouenanig Zant Erwan, le petit roitelet de saint Yves.

Auteur de nombreux autres chants religieux, il prit une part active à la rénovation du grand pèlerinage du mois de mai et fut aussi le grand organisateur des fêtes mémorables à l'occasion de l'inauguration du nouveau tombeau érigé à saint Yves dans la nef de la cathédrale de Tréguier. B.

Le succès du cantique en pays de chanteurs ne pouvait qu'inspirer d'autres compositeurs sur le même air come cette prière à saint Yves de venir prendre un repas sans faire de manière, ce qui somme toute correspond bien au personnage : Aotro sant Erwan, Seigneur saint Yves, Deuet dumañ d'ho koanVenez souper chez nous 'Vo ket ur friko,Ce ne sera pas un festin, Met leiz kof a vo !Mais vous en aurez plein le ventre ! Cette formulette amusante couramment utilisée aujourd'hui par les bretonnants du Trégor-Goëlo pour illustrer une invitation à la bonne franquette est ressentie par certains comme un manque de respect envers le saint.

Mais le Trégorrois est moqueur de nature et il lui arrive assez souvent, sous le ton de la plaisanterie, de braver les autorités religieuses. La rime est une de ses meilleures armes dans ce domaine et les couplets pastiches se multiplient sans retenue : Ev a rae gwin gwenn, rhum plouz ha mader Laret a rae d'an dud : sellet deus ma revr !Il buvait du vin blanc, du rhum et du madère, Il disait aux gens, regardez mon derrière ! Ev a rae lagout, ev a rae mader Ken a rae chiboud, war gê Landreger. Il buvait de la goutte, il buvait du madère, Tellement qu'il roulait sur les quais de Tréguier. Nous sommes là sur des chemins qui s'écartent de notre saint personnage et par crainte de représailles, nous allons les quitter. Disons tout de même que cela correspond bien à l'esprit trégorrois qui met sa verve gouailleuse au service de son anticléricalisme latent.

La lecture de ces quelques pages met en évidence l'extrême présence de saint Yves dans la mémoire populaire, aujourd'hui encore, en Trégor-Goëlo. Passée dans le moule de la tradition orale, la vie de cet enfant du pays est devenue légendaire. Autrement dit, un homme historique, fut-il aussi célèbre que saint Yves, n'a pas échappé à l'emprise d'un folklore sans cesse en mouvement qui l'a transformé pour ainsi dire en saint de la légende dorée.

Cependant, on aura remarqué dans ce portrait un trait qui ne manque pas de surprendre chez ce modèle de sainteté, c'est son implacabilité. Derrière le bon saint Yves du Minihy, père des pauvres, protecteur de la veuve et de l'orphelin, il y a du saint Yves de Vérité.

  

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11 août 2020